Lettre ouverte...

Jeune et con ou l’ambition du plus faible

Le droit à l’idéal n’a pas le droit de se féoder au bon sens commun que tout à chacun partage. Sur leur vie crapuleuse, les gens prospèrent et vont parodiant les plus belles phrases qu’ils vont siennes tout en prélevant au préalable la substantifique moelle. La vie, les discours, la relation aux autres sont devenus un long tube, une vieille chanson d’Yvette Guilbert que l’on vient dépoussiérer de temps en temps. Un tube c’est un « truc » qui a un début et une fin et qui est creux à l’intérieur.

Je ne me sens pas l’âme du mec qui a trop vécu. J’avance dans une cadence non paramétrée dès le départ, nous papillonnons, nous flânons au gré d’un sourire au coin d’une rue et nous le suivons pour savoir jusqu’où il nous sourira. Dans un lit, sur le coin d’une poubelle, je mange des souvenirs de ce type à la recherche d’un regard qui me hante.  

Dans une société sclérosée, ankylosés par les gens qui savent, qui savent trop et chaque jour est l’occasion pour eux de nous resservir le temps du bon temps, où le jadis était vachement mieux. C’est notre époque celle du rabachâge systématique, la violence est une vraie violence car réfléchie celle-là au nom de l’état, au nom de l’intérêt général. Moi j’te cogne salope, comme une catapulte, cela ne se retient pas, par amour, par colère, ne compte que la symphonie de nos corps. Le mélange du sang est beau dans notre éternel premier amour. Tout est pardonnable quand on a vingt ans.

Les années disette, c’est quand on vous engueule plus que de raison et que nous baisons la tête bien pâle. La disette c’est les galons de papa, la croix de guerre du grand-père et puis nous, penaud à assumer leur guerre, leur destin tragique de collaborateur bien crasse. Va t’en t’aimer après tout cela et ne pas ressasser ton passé par génétique interposée. Il y a bien une guerre que l’on voudrait entreprendre, la notre, contre nous même. Pan ! dans le vent. Et là après bien des efforts, bien après avoir bouffer de la littérature héroïque ou Proudhon et Kropotkine étaient tes vieux potes, il faut se mettre à l’évidence et marcher comme grand-père : combien il avait raison et que tout homme doit marcher les yeux sur le macadam.

Un jour ou l’autre on devient vieux, ce n’est ni une question d’engagement, de position, ni de perte de conviction mais juste de tristesse. Quand la tristesse s’empare de vous, la bête religieuse que nous sommes s’essouffle, râle puis ne croît plus en rien. Juste la petite colère de Tatie Danièle avant la petite mort. On bande une dernière fois, on râle bien haut : où sont nos idéaux ? Partis préparer le cimetière à notre corps défendant.

On pleure, tu râles et en pâtissent ceux qui croient encore à l’absolu. Rien n’est fait, rien n’est encore dit, il faut inventer, inventer, inventer. Que mon histoire soit un éternel recommencement, pfeuf, nous réfléchissons, quoi qu’il en soit, juste à la limite de notre corps, de notre vie, derrière, devant, impossible de se projeter même avec la meilleure intention. Alors invente, n’est pas peur, croît même pour te tromper. La tristesse des autres ? Dis-toi qu’elle arrivera bien assez tôt pour t’y préparer aujourd’hui. Tu penses, nous rêvons.

La tristesse est un fait absolu de l’homme. L’homme existe par la tristesse, ce néant qui nous entoure nous oppresse et avoir peur de s’en rapprocher augmente les lacrymales car nous sommes de triste pleurnichars. Telle est la vie, en quoi irions-nous contre ? En rien 

Au plaisir de déplaire aux vieux cons repus de tous idéaux vampirisés par les années, je voudrais prendre des chemins de traverses. Le long d’un chemin ne plus sentir le macadam sous mes pieds, échanger aux étoiles nos façons de rêver et boire, comme au premier matin la salive d’un arbre voulant m’embrasser.
J’y crois.