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Riposte - le journal de Bertrand D.
27 janvier 2007

Chronique Tel Aviv -2- Quand la haine nous tient

« Ils ont réussi à faire disparaître les Arabes du paysage », dit le cinéaste Avi Mograbi, auteur de l’hilarant Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1997). La disparition ne touche pas seulement les Palestiniens des territoires occupés, mais aussi les Arabes israéliens, qui représentent un million d’habitants sur les six millions que compte le pays. Depuis qu’en octobre 2000 l’armée a tué treize d’entre eux lors d’une manifestation de soutien à l’Intifada naissante, les regards ont changé. Les uns, qui croyaient être des citoyens israéliens à part (presque) entière, ont compris qu’on pouvait les tirer comme des Palestiniens ; les autres ont découvert que leurs ouvriers ou leurs domestiques familiers pouvaient soudain devenir un danger. Commencée dans les yeux, la séparation s’est lentement accentuée sur le terrain, créant des vides aussitôt comblés par des travailleurs immigrés philippins, russes, roumains. Jour après jour, Tel-Aviv réalise le rêve initial : être exclusivement juive dans une vie qui paraît normale, plus que normale même.

Avi Mograbi n’a plus le cœur à faire des films drôles. Son fils de 18 ans a décidé de ne pas se présenter à la convocation du service militaire, il risque deux ans de prison, sinon plus. Depuis des mois, la famille se réunit avec d’autres refuzniks et leurs parents pour se préparer collectivement à l’épreuve. L’association Briser le silence expose des photos prises par de jeunes appelés pendant leur service, en particulier aux chekpoints d’Hébron, pour montrer ce que signifie l’occupation au quotidien. Une autre, Taayoush (« Coexistence »), animée par des Israéliens et des Palestiniens, multiplie les initiatives pour dénoncer l’occupation et affirmer qu’une vie commune pacifique est possible. Mais si des sondages révèlent qu’une majorité d’Israéliens seraient favorables à un retrait quasi complet des territoires occupés, les militants prêchent dans le désert. Car le « camp de la paix » a cessé de croire en la paix, il a volé en éclats avec l’échec des conférences de Camp David (juillet 2000) et de Taba (janvier 2001), les attentats-suicides, l’arrivée de M. Ariel Sharon au pouvoir, l’Intifada et son implacable répression.

Qu’ils soient de droite ou de gauche, peu d’Israéliens critiquent le principe du mur de séparation. En dépit des nuances qui les distinguent, ils vivent sous l’empire d’un même credo : le monde extérieur nous est hostile, les partenaires palestiniens sont corrompus et défaillants, Yasser Arafat a refusé l’offre de paix généreuse qui lui a été faite, Israël n’a pas le choix. Dans ce climat, ceux que les horreurs de l’occupation et des attentats-suicides empêchent de dormir vivent un tourment permanent. Isolés, épuisés, ils continuent de manifester non parce qu’ils gardent un espoir quelconque, mais parce qu’il leur est impossible de faire autrement.

Les boutiques de moto sont alignées dans ce quartier délabré du nord de la ville où, parmi les travailleurs immigrés, les Falachas et les familles modestes, quelques cafés branchés ont fait leur apparition. Nous cherchons un scooter à louer, ce n’est pas facile, un jeune vendeur de motos nous aide à en trouver un dans le quartier. Il raconte que sa famille a dû quitter Bagdad dans les années 1950 en laissant tous ses biens derrière elle. Mais son oncle s’est vengé en aidant à préparer le raid aérien contre la centrale nucléaire irakienne Osirak, en 1981. La politique actuelle ne l’intéresse que modérément. « Ce sera la guerre pour toujours, affirme-t-il. La seule différence est que mon père croyait que cette guerre était bonne, alors que je pense, moi, que c’est de la merde. » L’essentiel est la vie elle-même, les motos, et surtout la sekhina – cette sensualité d’être ensemble.

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